« Allô, 115 ? » La sonnerie s’étire, puis l’attente. Pour beaucoup de familles, c’est le scénario de chaque soir. 79 % d’entre elles avaient déjà dormi dehors la veille de leur appel : le sans-abrisme des enfants ne relève plus de l’accident, mais d’un parcours qui s’enkyste. Dans la seule nuit du 18 au 19 août, 2 159 enfants n’ont pas trouvé de place ; 503 étaient des tout-petits de moins de trois ans, un chiffre en hausse de 8 % sur un an et de 37 % depuis 2022.
Sur le terrain, les acteurs parlent d’« ancrage » : hôtels bon marché où l’on empile des matelas, gymnases transformés en dortoirs d’urgence, tentes qui réapparaissent à la tombée du jour. Cette réalité dépasse les tableaux de bord : le 115 n’a pu répondre qu’à une partie des besoins, et ce sont les familles qui concentrent la plus grande part des demandes non pourvues (60 %, soit 4 036 personnes).
Derrière la détresse, une mécanique grippée. Malgré un parc d’hébergement stabilisé « autour de 203 000 places », l’État reconnaît un trou de 250 M€ rien que pour maintenir ce niveau en 2025. Pendant ce temps, la chaîne du logement se bloque : 2,8 millions de ménages attendent un logement social et, en 2024, 24 556 expulsions ont été exécutées avec le concours de la force publique (+29 % vs 2023).
L’outre-mer en première ligne
L’Outre-mer, enfin, agit comme un révélateur de crise. Les indicateurs disponibles estiment à 600 000 le nombre de personnes mal-logées ou sans domicile dans les DROM — près d’un habitant sur trois. À La Réunion, plus de 1 000 enfants sans solution ont été recensés en 2024, dont 330 de moins de trois ans ; à Mayotte, un tiers de la population vit en habitat précaire, une fragilité aggravée par les cyclones.
Dans l’urgence, on loge à l’hôtel : la nuit étudiée, près de 29 857 enfants y étaient hébergés. Un pis-aller coûteux et inadapté au temps long de l’enfance, qui ne remplace ni la stabilité d’un logement ni l’accompagnement social nécessaire.
“Ne nous résignons pas à voir des enfants naître, vivre et mourir dans la rue.
Il en va de notre humanité et de notre responsabilité collective.”
Adeline HAZAN
Présidente de l’UNICEF France
Un débat budgétaire placé sous le signe de la protection de l’enfance ?
À l’aube du débat budgétaire, UNICEF France et la Fédération des acteurs de la solidarité posent un cap : augmenter les places d’hébergement et revoir la stratégie sur plusieurs années. Elles demandent, dès le PLF 2026, 10 000 places supplémentaires, dont 1 000 dédiées aux femmes enceintes et aux sorties de maternité, ainsi que la sécurisation du FNAP pour relancer la production de logements très sociaux. À court terme, elles plaident pour maintenir au minimum 203 000 places via une loi de finances rectificative.
Au-delà des chiffres, c’est une question de volonté politique, insistent Adeline Hazan et Pascal Brice : programmer, financer, et transformer l’offre pour qu’elle s’adapte aux besoins spécifiques des familles, du repérage à l’accès au logement, en passant par un accompagnement global et un meilleur outillage des SIAO. Sans oublier une programmation pluriannuelle de l’hébergement et du logement (objectifs de production : 200 000 logements sociaux/an, dont 60 000 très sociaux) et la création d’un observatoire national du sans-abrisme pour éclairer l’action publique.
Reste l’image qui serre le cœur : des cartables posés sur un trottoir, des enfants qui apprennent à attendre un rappel qui ne vient pas. La statistique dit l’ampleur, la narration rappelle l’essentiel : l’école commence dans un foyer. Pas sur le pas de la porte.
LES CHIFFRES CLEFS
Nuit du 18 au 19 août 2025
- 2 159 enfants sans solution après un appel au 115
- 503 ont moins de 3 ans
- +6 % vs 2024 • +30 % vs 2022
- 79 % des familles avaient déjà dormi dehors la veille
- 855 morts de la rue en 2024, 31 enfants parmi eux
Sources : UNICEF France / FAS ; Les Morts de la Rue ; CAL.
À suivre
Débat parlementaire sur le PLF 2026 (logement/hébergement)
Suivi des recours CAL devant le TA de Paris
Focus Outre-mer : La Réunion et Mayotte.
Sources
Baromètre : enfants de la rue aout 2025
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